Quand le deuil a, un jour, frappé à ma porte…

C’était le 17 janvier 2002. Comme tous les matins je réveille nos quatre enfants pour le départ à l’école. Aujourd’hui ils mangent tous à la cantine. Il ne rentreront qu’en fin d’après midi. A ce moment je ne me doute pas que, quelques heures plus tard, je serai soulagé de les savoir loin de la maison. En effet, leur maman, mon épouse allait décéder à la mi-journée. Elle avait 36 ans. 

En tant que pasteur j’ai souvent été confronté à la mort. J’ai essayé de consoler ceux qui traversaient cette terrible épreuve. Mais lorsqu’elle vous frappe à votre tour, rien n’est pareil. Vous vous rendez compte alors que vos schémas stéréotypés ne collent plus vraiment à la réalité parce que maintenant vous y êtes plongé pour ne pas dire noyé. Je me suis alors demandé ce que j’avais bien pu dire à tous ceux que j’avais visités dans ces circonstances. La douleur ressentie vous perce jusqu’au plus profond de vous-même. Elle vous terrasse et inonde vos yeux d’abondantes larmes. J’ai puisé les forces, pour ne pas sombrer, dans le Psaume 23 que je repassais dans mon coeur – je le connaissais par coeur – des dizaines de fois dans les jours et les semaines qui ont suivi l’enterrement : «l’Eternel est mon berger, je ne manquerai de rien (…) Quand je traverse la vallée de l’ombre de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi (…)». A force de répéter ces paroles, je réalisais la profondeur de ce que David écrivait alors. Je comprenais, petit à petit, que là où les mots ne servent à rien, Dieu continue de parler, de rassurer et de consoler. Bien sûr quand arrivait le soir et que les enfants s’étaient endormis, je ressentais fortement l’absence de mon épouse et la douleur resurgissait alors sans même s’annoncer. Cela faisait partie de ce qu’on appelle « faire son deuil ». Je n’ai jamais vraiment su ce que cela signifiait, mais j’ai compris au fil des années qui ont suivi que c’est une « aventure » très personnelle et qu’il faut la respecter. Chacun doit aller à son rythme. 

Lorsque une telle épreuve vous surprend, il tombe, sans que l’on sache comment, une sorte de voile qui enveloppe tout votre être comme quand arrive le soir et qu’il assombrit petit à petit la lumière du jour. C’est bel et bien, comme l’écrit David, une vallée encaissée où les montagnes tout autour semblent venir s’écraser sur vous comme attirées par votre douleur et vos cris de désespoir. 

C’est alors que le temps semble subitement s’arrêter. L’avenir devient inexistant parce que l’attention et les pensées se figent sur l’image de celui qui n’est plus et qui ne renvoie plus aucun son, plus aucun geste, plus aucun regard. C’est à ce moment là que j’ai compris la dure réalité de ces quelques mots prononcées des dizaines de fois lors des nombreux mariages que j’ai célébrés  : « jusqu’à ce que la mort vous sépare ». J’ai alors réalisé que j’allais être seul. Il faut dire que je n’ai quasiment jamais vécu seul jusqu’à ce jour. Lorsque je suis parti de chez mes parents c’était pour aller faire mes études de théologie en Suisse, à l’Institut Biblique et Missionnaire d’Emmaüs. J’étais déjà fiancé avec celle qui allait devenir mon épouse. Et avant même la fin de mes études, nous nous sommes mariés. Nous étions à l’aube de nos vingt ans, heureux et convaincus que Dieu nous avait unis pour le meilleur et pour le pire, selon la formule consacrée. Sauf que le pire, vous ne l’imaginez pas. Et le décès de l’autre encore moins. 

Dans les premières semaines qui ont suivi son décès, je m’attendais toujours à la voir rentrer de son  travail ; elle était infirmière de nuit. Les habitudes sont plus que ce que l’on croit, bien ancrées dans notre mémoire. Mais j’espérais en vain. Ce n’est que quelque temps plus tard que je me suis surpris à réaliser la portée terrifiante et douloureuse de ces deux mots : plus jamais. Cependant je ne peux pas dire que j’ai souffert de solitude car mes quatre enfants occupaient bien les journées en plus du ministère itinérant qui débutait. Leur présence a été une force. Je suis convaincu que le combat contre la solitude commence à être gagné lorsqu’on accepte son épreuve. Et cela est possible. Car la révolte, aussi compréhensible qu’elle puisse être ne fait qu’aggraver les choses et entrainer l’enfant de Dieu au découragement et à l’oubli des nombreuses promesses de Dieu comme celle-ci : « si vous avez part aux souffrances, vous avez aussi part à la consolation » (2 Co. 1.7b). Les épreuves nous donnent l’occasion de croire Dieu. Pour ma part, en me soumettant à Sa souveraineté, j’en avais aussi accepté par la foi les conséquences directes, convaincu que la consolation de Dieu allait venir en son temps. Et elle est arrivée ! En effet, aujourd’hui le Seigneur m’a consolé. Mieux encore, il m’a redonné une épouse. Dieu a un plan pour chacun de nous, qui peut nous étonner, nous interroger, nous décontenancer, mais in fine, et quoi qu’on en dise, Sa volonté restera toujours le meilleur pour celui qui garde sa main dans la Sienne.

« Voici ce que je veux repasser en mon coeur, ce qui me donnera de l’espérance : les bontés de l’Eternel ne sont pas épuisées, ses compassions ne sont pas à leur terme ; elles se renouvellent chaque matin : ô Dieu que ta fidélité est grande ! l’éternel est mon partage dit mon âme, c’est pourquoi je veux espérer en Lui » (Lam. 3:22-24).

Une réflexion au sujet de « Quand le deuil a, un jour, frappé à ma porte… »

  • 10 décembre 2021 à 16 h 51 min
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    Tu analyses bien le deuil…que je connais pour la 2eme fois d une manière différente car j avais 44 ans et un enfants dont une de 10 ans et je suis maintenant âgée avec beaucoup plus de temps qu alors…
    Merci pour ton ministère qui est indispensable…il y a toujours manque d ouvriers pour la moisson…ton message pour les obsèques de Jacques a été fort…Il est puissant a ton côté, ne crains pas les critiques ou les attaques. Je prie pour toi avec plein d autres sans doute
    Bien fraternellement .Maryvonne

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