« Théophile, j’ai parlé, dans mon premier livre, de tout ce que Jésus a commencé de faire et d’enseigner dès le commencement jusqu’au jour où il fut enlevé au ciel, après avoir donné ses ordres, par le Saint Esprit, aux apôtres qu’il avait choisis. Après qu’il eut souffert, il leur apparut vivant, et leur en donna plusieurs preuves, se montrant à eux pendant quarante jours, et parlant des choses qui concernent le royaume de Dieu. Comme il se trouvait avec eux, il leur recommanda de ne pas s’éloigner de Jérusalem, mais d’attendre ce que le Père avait promis, ce que je vous ai annoncé, leur dit-il ; car Jean a baptisé d’eau, mais vous, dans peu de jours, vous serez baptisés du Saint Esprit. Alors les apôtres réunis lui demandèrent : Seigneur, est-ce en ce temps que tu rétabliras le royaume d’Israël ? Il leur répondit : Ce n’est pas à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a fixés de sa propre autorité. Mais vous recevrez une puissance, le Saint Esprit survenant sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée, dans la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. Après avoir dit cela, il fut élevé pendant qu’ils le regardaient, et une nuée le déroba à leurs yeux. Et comme ils avaient les regards fixés vers le ciel pendant qu’il s’en allait, voici, deux hommes vêtus de blanc leur apparurent, et dirent : Hommes Galiléens, pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel ? Ce Jésus, qui a été enlevé au ciel du milieu de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu allant au ciel » (Act. 1 :1-11).
L’auteur du livre des Actes des apôtres est Luc. Il était médecin et était devenu disciple de Jésus. Il ne faisait pas partie des douze, mais a été assez proche de Lui pour pouvoir écrire un évangile et le livre des actes des apôtres. Luc est le seul auteur du Nouveau Testament à nous raconter l’Ascension de Jésus Christ. L’évangile selon Matthieu s’achève abruptement en Galilée où Jésus envoie ses disciples baptiser par toute la Terre, en leur promettant d’être avec eux jusqu’à la fin des siècles (Mt 28 :16-20). Jean termine également son évangile sur les bords du Lac de Galilée après que Jésus a notamment annoncé à Pierre la tâche pastorale qui l’attendait (Jn 21 :15-23). Ni l’un ni l’autre ne parlent d’ascension. Seule la finale de Marc le fait, mais très succinctement : « Le Seigneur Jésus fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu » (Mc.16:19). Luc, quant à lui, nous a laissé deux récits de l’Ascension : l’un, assez bref, à la fin de son évangile, en conclusion à la journée pascale (Lc 24 :50-53), l’autre, un peu plus développé, au début de notre passage.
C’est donc la dernière rencontre de Jésus avec ses disciples, qui ne sont plus que onze. Et il s’installe entre eux un dialogue : « Seigneur, est-ce en ce temps que tu rétabliras le royaume d’Israël ? Il leur répondit : Ce n’est pas à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a fixés de sa propre autorité ». Cette question des disciples montre combien ils n’ont pas encore compris à ce moment le sens de la mission de Jésus, de sa mort et de sa résurrection. Ils en sont encore à l’espérance messianique juive d’une restauration nationale, d’un royaume terrestre. Oui, ils sont impatients de voir Jésus bouter les romains hors du pays. Tout comme le peuple d’ailleurs qui, à plusieurs reprises ont voulu le faire roi. Or, étonnamment, Jésus n’a l’air ni déçu, ni fâché. Il ne leur reproche pas cet aveuglement car il sait en réalité que tout s’éclairera pour eux lorsqu’ils auront reçu l’Esprit Saint lors de la Pentecôte, et, dans cette même confiance, Jésus voit très loin, jusqu’aux confins de la terre. Et la traduction du mot temps dans ce dialogue l’exprime bien. En effet lorsque les disciples interroge : « est-ce en ce temps » le mot grec que l’on a traduit par « temps » est kronos. Le Kronos, qui a donné le mot chronomètre exprime une notion de temps défini, répétitif dans lequel l’homme vit ses journées, ses mois et ses années, le calendrier, l’horloge, etc. Le Kronos se visualise par deux petites aiguilles qui sont les éléments essentiels de notre montre, ou par un sablier. Quant à la réponse de Jésus : « ce n’est pas à vous de connaître les temps ou les moments que le Père a fixés de sa propre autorité », le mot traduit par temps dans la réponse de Jésus, n’est plus le kronos mais le kairos ; « ce n’est pas à vous de connaître les kairos ». Le terme Kairos exprime une notion du temps au travers d’événements successifs mais plus ou moins éloignés les uns des autres. Oui le temps de Dieu n’est pas dans le kronos mais dans le kairos au travers des événements qu’Il a planifiés dès avant la fondation du monde et qui demeurent immuables. Et au moment où Jésus parle, deux événements vont arriver : son Ascension et la descente du Saint-Esprit. Arrêtons-nous sur le premier qui nous ouvre la porte vers le ciel.
L’Ascension est rapportée par Luc et Marc à la fin de leur évangile qui porte leur nom. Et Luc revient sur cet événement dès le début de son récit des Actes des Apôtres (notre texte). C’est un évènement extraordinaire voire surréaliste pour les témoins de la scène. Les journaux d’aujourd’hui titreraient certainement leurs unes de mots chocs comme peut-être celui-ci : Enlèvement en direct ! Et nous n’aurions pas de peine à imaginer alors la cohue qu’il y aurait autour des disciples, encerclés de caméras, d’appareils photographiques aux flashs éblouissants, et sûrement en prime, l’exclusivité d’une chaîne de télévision. Mais la frénésie de notre époque moderne n’était pas encore celle d’y a deux mille ans… La « nuée », dont il est question dans le récit et qui enveloppe Jésus, est le signe visible de la présence de Dieu. Ainsi, par exemple, avec Moïse lors du passage de la mer, au Sinaï « L’Éternel allait devant eux, le jour dans une colonne de nuée pour les guider dans leur chemin, et la nuit dans une colonne de feu pour les éclairer, afin qu’ils marchassent jour et nuit. La colonne de nuée ne se retirait point de devant le peuple pendant le jour, ni la colonne de feu pendant la nuit » (Ex 13.21-22). Si la nuée dérobe Jésus au regard des hommes, c’est dire qu’il est entré dans le monde de Dieu, qu’il cesse avec nous un certain mode de présence, charnelle, visible, pour en inaugurer un autre, spirituel. « Pierre et ses compagnons étaient appesantis par le sommeil ; mais, s’étant tenus éveillés, ils virent la gloire de Jésus et les deux hommes qui étaient avec lui. Au moment où ces hommes se séparaient de Jésus, Pierre lui dit : Maître, il est bon que nous soyons ici ; dressons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. Il ne savait ce qu’il disait. Comme il parlait ainsi, une nuée vint les couvrir ; et les disciples furent saisis de frayeur en les voyant entrer dans la nuée. Et de la nuée sortit une voix, qui dit : Celui-ci est mon Fils élu : écoutez-le ! » (Lc. 9.32-35). D’où l’envoi du Saint-Esprit annoncé juste avant par le Seigneur et que Luc rapporte. C’est aussi ce qu’écrit Jean dans son évangile : « Et moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre consolateur, afin qu’il demeure éternellement avec vous, l’Esprit de vérité, que le monde ne peut recevoir, parce qu’il ne le voit point et ne le connaît point ; mais vous, vous le connaissez, car il demeure avec vous, et il sera en vous. Je ne vous laisserai pas orphelins, je viendrai à vous. Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus ; mais vous, vous me verrez, car je vis, et vous vivrez aussi » (Jn.14.16-19).
Alors, aussi surprenant que cela puisse être, Jésus n’a pas été le premier à vivre cette ascension et il ne sera pas non plus le dernier. En effet, l’Écriture nous révèle que deux autres personnes ont vécu avant lui cet extraordinaire événement. Il s’agit de deux hommes : Hénoc et Elie. « Hénoc, après la naissance de Metuschélah, marcha avec Dieu trois cents ans ; et il engendra des fils et des filles. Tous les jours d’Hénoc furent de trois cent soixante-cinq ans. Hénoc marcha avec Dieu ; puis il ne fut plus, parce que Dieu le prit » (Gen.5.22-24). Hénoc est le fils ainé de Caïen (Gen.4.17). Contrairement à son père, il marche dans la crainte de Dieu. C’est ce qu’écrit l’auteur de l’épitre aux Hébreux : « C’est à cause de sa foi qu’Hénoc a été enlevé pour échapper à la mort, et on ne l’a plus retrouvé parce que Dieu l’avait enlevé. Avant d’être enlevé, il avait en effet reçu le témoignage qu’il était agréable à Dieu » (Heb.11.5). (Col.1.10). Nous apprenons aussi, dans le livre de Jude, qu’Hénoc était un prophète : « C’est aussi pour eux qu’Énoch, le septième depuis Adam, a prophétisé en ces termes : Voici, le Seigneur est venu avec ses saintes myriades, pour exercer un jugement contre tous, et pour faire rendre compte à tous les impies parmi eux de tous les actes d’impiété qu’ils ont commis et de toutes les paroles injurieuses qu’ont proférées contre lui des pécheurs impies » (14-15). Le « eux »dans cette prophétie s’adresse aux incrédules qui, comme l’écrit aussi Jude quelques versets plus haut, ont pris modèle sur Caïen (allusion à la violence), sur Balaam (allusion aux compromissions) et la révolte de Koré (allusion à l’orgueil et au pouvoir). Hénoc a donc averti en son temps qu’un jour le jugement de Dieu viendrait Quant à Elie, il est écrit : « Élie dit à Élisée : Demande ce que tu veux que je fasse pour toi, avant que je sois enlevé d’avec toi. Élisée répondit : Qu’il y ait sur moi, je te prie, une double portion de ton esprit !Élie dit : Tu demandes une chose difficile. Mais si tu me vois pendant que je serai enlevé d’avec toi, cela t’arrivera ainsi ; sinon, cela n’arrivera pas. Comme ils continuaient à marcher en parlant, voici, un char de feu et des chevaux de feu les séparèrent l’un de l’autre, et Élie monta au ciel dans un tourbillon. Élisée regardait et criait : Mon père ! mon père ! Char d’Israël et sa cavalerie ! Et il ne le vit plus. Saisissant alors ses vêtements, il les déchira en deux morceaux, et il releva le manteau qu’Élie avait laissé tomber. Puis il retourna, et s’arrêta au bord du Jourdain » (2Ro.2.10-13). Et il faut être de mauvaise foi ou rejeter totalement l’Écriture pour nier l’existence de ces témoignages extraordinaires. Mais une question se pose quand même : pourquoi Hénoc et Elie ne sont-ils pas morts ? Les textes ne semblent pas apporter de réponse et nous devons éviter de nous laisser aller à des suppositions. Mais je crois que si l’Écriture reste mystérieuse sur la réponse à cette question, elle oriente quand même notre pensée sur la réalité de ce fait comme quelque chose de possible pour le commun des mortels ?
Que Jésus soit élevé vers le ciel, c’est normal. N’est-il pas le Fils de Dieu venu de ce ciel ? Mais que des hommes, comme Elie dont Jacques écrit qu’il « était de la même nature que nous » (Jac.) puissent le vivre, voilà qui interpelle et nous invite à croire par la foi à la réalité de ces deux événements. Pourquoi y croire ? Parce qu’une génération tout entière est appelée à vivre ce même événement, comme l’écrit Paul aux Thessaloniciens : « Nous ne voulons pas, frères et sœurs, que vous soyez dans l’ignorance au sujet de ceux qui sont morts, afin que vous ne soyez pas dans la tristesse comme les autres, qui n’ont pas d’espérance. En effet, si nous croyons que Jésus est mort et qu’il est ressuscité, nous croyons aussi que Dieu ramènera par Jésus et avec lui ceux qui sont morts. Voici ce que nous vous déclarons d’après la parole du Seigneur : nous les vivants, restés pour le retour du Seigneur, nous ne devancerons pas ceux qui sont morts. En effet, le Seigneur lui-même, à un signal donné, à la voix d’un archange et au son de la trompette de Dieu, descendra du ciel et ceux qui sont morts en Christ ressusciteront d’abord. Ensuite, nous qui serons encore en vie, nous serons tous ensemble enlevés avec eux sur des nuées à la rencontre du Seigneur dans les airs, et ainsi nous serons toujours avec le Seigneur. Encouragez-vous (consolez-vous) donc les uns les autres par ces paroles » (1 The.4.13-18). Voilà pourquoi j’ai dit que Jésus n’a pas été le premier à vivre cette ascension et ne sera pas non plus le dernier. Ce passage de Paul nous fait entrer dans une dimension qui nous dépasse et que l’on ne peut expliquer. Cette révélation s’apparente à l’ascension d’Hénoc, d’Elie et de Jésus-Christ. Les propos de Paul attestent la réalité de ce fait comme devant être attendu et certain. Si ce passage de Paul aux Thessaloniciens, est le seul texte qui fait explicitement allusion à l’ascension de l’église, il ne faut pas oublier ce que Jésus dit sur cet enlèvement et que rapporte Matthieu : « Pour ce qui est du jour et de l’heure, personne ne le sait, ni les anges des cieux, ni le Fils, mais le Père seul. Ce qui arriva du temps de Noé arrivera de même à l’avènement du Fils de l’homme. Car, dans les jours qui précédèrent le déluge, les hommes mangeaient et buvaient, se mariaient et mariaient leurs enfants, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche ; et ils ne se doutèrent de rien, jusqu’à ce que le déluge vînt et les emportât tous : il en sera de même à l’avènement du Fils de l’homme. Alors, de deux hommes qui seront dans un champ, l’un sera pris et l’autre laissé de deux femmes qui moudront à la meule, l’une sera prise et l’autre laissée » (Mat.24.36-41). Luc n’est pas en reste : « Je vous le dis en cette nuit-là, de deux personnes qui seront dans un même lit, l’une sera prise et l’autre laissée, de deux femmes qui moudront ensemble, l’une sera prise et l’autre laissée. De deux hommes qui seront dans un champ, l’un sera pris et l’autre laissé » (Luc 17.34-36). Le passage de Luc, en particulier, nous montre que l’enlèvement aura lieu la nuit pour certains – allusion au lit – et le jour pour d’autres – allusion au travail. Ce sera donc un événement qui se passera au même instant sur toute la surface de la terre. Jésus savait bien, avant Galilée, que la terre était ronde, qu’elle tournait autour du soleil, qu’il fait donc nuit pour certains alors qu’il fait jour pour d’autres. Au moment de l’enlèvement, ceux qui travaillent et ceux qui dorment seront comme aspirés dans les airs, au même instant.
L’ascension de Jésus et l’expérience de Paul place l’enfant de Dieu que je suis face à deux réalités : celle qui est à venir, le ciel avec tous ses mystères mais aussi les promesses de l’Écriture qui y sont liées, et celle qui est présente, c’est-à-dire notre vie sur la Terre, lieu où l’homme souffre et meurt parce que le péché originel a tout déréglé. Deux réalités qui doivent rester bien présentes à notre esprit. « C’est pourquoi nous ne perdons pas courage. Si notre homme extérieur se détruit notre homme intérieur se renouvelle de jour en jour. Car nos épreuves du moment présent produisent pour nous, au-delà de toute mesure, un poids éternel de gloire. Parce que nous regardons, non pas aux choses visibles, mais à celles qui sont invisibles. Car les choses visibles sont passagères et les invisibles sont éternelles » (2Co.4.16-18).